Le RAPPEL célèbre son 25e anniversaire cette année. Pour l’occasion, nous vous proposons une série d’articles, en trois temps, afin de revisiter l’histoire de ce fascinant regroupement. Bonne lecture!

Chapitre 1 : Après l’abandon, la résilience

Pour comprendre la naissance du RAPPEL, il faut d’abord parler du Programme des lacs. En effet, à une certaine époque, le gouvernement québécois possédait une équipe dédiée à la protection des lacs. Durant cette période, les groupes de citoyens et citoyennes qui souhaitaient lancer un projet de protection ou de réhabilitation de leur plan d’eau recevaient de l’aide financière et bénéficiaient d’une expertise professionnelle.

« C’est en 1971 que ce programme a pris son envol au sein des SPE (Services de protection de l’environnement) de l’époque. L’équipe du programme comptait alors 15 personnes, pour augmenter à 20 personnes en 1975 et à 30 en 1980, dont plus des deux tiers étaient à Montréal et moins qu’une dizaine travaillait depuis la ville de Québec. Nous étions une équipe multidisciplinaire dans le vrai sens du mot. Trois ingénieurs, deux biologistes, un géographe, une géologue, deux chimistes, un ingénieur forestier, un urbaniste, des techniciens en aménagement des rives, en traitement des eaux, en reboisement, en initiation à la nature avec un écusson pour les enfants, etc. Mais ce petit nombre, qui n’a pas dépassé 35 personnes à mon souvenir, et que l’on a surnommé « l’équipe du tonnerre », se greffait à un grand nombre de spécialistes des firmes-conseils que nous engagions pour faire le travail sur le terrain. »  – Kamal Karazivan, ancien ingénieur sanitaire du Programme des lacs

Ces professionnels réalisaient des études d’inventaire de la faune, d’évaluation de la qualité de l’eau, évaluaient le pourcentage naturel des rives et fournissaient même des recommandations de corrections à mettre en place en lien avec les diagnostics effectués.

« En collaboration avec les riverains, il était aussi possible d’alimenter en boutures les pépinières destinées à la production de plantes riveraines autochtones pour revégétaliser les rives artificielles ou jugées trop ornementales. Ce même organisme avait entrepris d’encadrer les inspecteurs municipaux afin de les former, les soutenir et les guider dans l’application de la loi sur la protection de l’environnement particulièrement celle sur la gestion des eaux usées des résidences éloignées. » – Extrait du Mémoire adressé à la Commission du BAPE dans le cadre des consultations publiques sur la gestion de l’eau au Québec, par l’Association pour la protection du lac Brompton, en octobre 1999

Ce programme a mené à la constitution de la FAPEL (Fédération des associations pour la protection de l’environnement des lacs), en quelque sorte un volet citoyen du programme. En effet, les associations qui interagissaient avec le programme des lacs avaient été invitées à se regrouper et se fédérer. La FAPEL regroupait alors des centaines d’associations partout au Québec. L’un des projets phares de cette structure que formaient la FAPEL et le programme des lacs était la pépinière de Lanoraie, où l’on retrouvait plus de 100 000 arbustes prêts à être installés gratuitement en bordure des rives des lacs pour la renaturalisation.

« Je me souviens d’un samedi où presque toutes les propriétés riveraines du lac de Stoke étaient représentées à cette corvée et dont nous avions coupé presque 10 000 boutures! Ce qui nous a assuré 10 000 plants gratuits durant les 8-9 années suivantes. C’était ça, Lanoraie, un engagement humain et technique puissant pour favoriser la revégétalisation de nos rives dégradées! » – Jean-Claude Thibault, premier président du RAPPEL

 

Jean-Claude Thibault, et son père spirituel, Tony Le Sauteur à la pépinière de Lanoraie avant sa fermeture
Jean-Claude Thibault, et son père spirituel, Tony Le Sauteur à la pépinière de Lanoraie avant sa fermeture.
La FAPEL sortit quelques journaux avant de disparaître, et déjà, en juin 1994, on parlait de la moule zébrée!

« Ce fut une synergie exemplaire entre fonctionnaires, ingénieurs-conseils et associations de propriétaires. La priorité des lacs choisis allait toujours aux lacs avec une association des propriétaires assez articulée. Ainsi avec relativement peu d’argent public octroyé, l’on pouvait ratisser large pour sauver plusieurs centaines de lacs après quelques années. La FAPEL de l’époque, et notre patron, Tony Le Sauteur, étaient les vrais piliers du programme. » – Kamal Karazivan, ancien ingénieur sanitaire du Programme des lacs

Malheureusement, en 1992, le ministère de l’Environnement prit des décisions qui menèrent à l’abolition du Programme des lacs, suivi, en 1994, par le déclin de la FAPEL qui perdit tous ses moyens techniques et financiers. Cependant, le lobbyisme de l’industrie privée et les propos controversés de Tony Le Sauteur, on le soupçonne, contribuèrent à la fermeture officielle du Programme des lacs en 1996 par le député Pierre Paradis.

coupure du quotidien La Tribune
À partir de ce moment, les associations, privées de ressources pour la protection de leur plan d’eau et devenues orphelines, refusèrent de baisser les bras. Le 20 octobre 1996, une quarantaine d’associations de lacs et de cours d’eau de l’Estrie et du Haut-Bassin de la St-François se réunirent de manière solidaire lors d’une journée d’étude. Les recommandations formulées lors de cette dernière touchèrent de nombreux enjeux encore actuels : la nécessité des regroupements municipaux, les embarcations motorisées, l’aménagement des rives et du littoral, les milieux humides, les installations septiques, l’entretien écologique des fossés, les pratiques agricoles, les plantes aquatiques, les réservoirs d’eau potable et les coupes forestières.

Portées par le secrétaire régional de l’Estrie et député de Johnson, Claude Boucher, ainsi que par le Regroupement des associations des lacs et des cours d’eau de l’Estrie et du Haut Saint-François, dont Jean-Claude Thibault, de l’Association du lac Aylmer, était le porte-parole à l’époque, les recommandations furent présentées au ministère de l’Environnement le 2 novembre 1996. Un colloque régional fut alors organisé au Centre d’arts Orford par les associations du bassin hydrographique du lac Brompton, regroupées sous la Fédération pour la protection de l’environnement de l’Estrie, en collaboration avec le Conseil Régional de l’Environnement de l’Estrie (CREE).

« On aura deux heures pour faire valoir nos points et tenter de convaincre les élus. » Jean-Claude Thibault, premier président du RAPPEL

Il s’avéra que la présentation dura plus de quatre heures. Ce petit rassemblement de personnes inconnues du public et uniquement supporté par la Fédération des sept lacs, présidée par Martin Lemmens, réussit à faire reconnaitre ses arguments et prit donc confiance.

Jean-Claude Thibault a été le premier président du RAPPEL. Originaire de Mont-Laurier, et s’étant déplacé en Estrie pour l’amour et les études, il s’est investi en protection de l’environnement en devenant l’un des membres fondateurs de l’Association pour la protection du lac Stoke, puis comme administrateur de l’Association des résidents du lac Aylmer. Étant géomorphologue de formation, il se porte en ardent défenseur de la protection des lacs et des cours d’eau, principalement contre l’érosion des sols qui apporte un excès de sédiments et de nutriments. Il fut l’initiateur de la méthode du tiers inférieur pour l’entretien plus écologique et économique des fossés.
Jean-Claude Thibault, premier président du RAPPEL
Martin Lemmens, premier directeur général du RAPPEL
Demeurant au lac Fraser, où il a formé l’association des riverains pour la protection du lac, Martin Lemmens s’est vite aperçu du besoin d’échanger avec plus de personnes que la vingtaine déjà engagée, pour notamment aller chercher d’autres compétences. C’est à ce moment qu’il a formé la Fédération des sept lacs en allant chercher les lacs Montjoie, Brompton (le petit et le grand), Fraser, Bowker, des Monts, Simoneau et Leclerc/Bran de scie.

« On formait un groupe qui devenait plus compétent et aussi qui pouvait démarrer des projets de plus grande envergure, parce qu’il y a plus de monde autour de la table, il y a plus d’énergie, d’enthousiasme, etc. » 

« De formation je suis travailleur social et mon activité payée à temps plein était au Centre Jeunesse, tandis qu’au RAPPEL, j’y étais à titre de bénévole. J’ai adoré cette période, parce que je me souviens qu’enfant j’ai vécu au bord de l’eau, de la rivière Richelieu. L’eau et les plans d’eau ont toujours exercé un grand attrait sur moi. D’ailleurs quand j’en suis arrivé au choix de profession, j’ai hésité entre la biologie et le service social. Le RAPPEL m’a permis de vivre ce choix de profession que je n’avais pas fait qui était la biologie, où je suis sûr que je me serais énormément plus. » Martin Lemmens, premier directeur général du RAPPEL

Chapitre 2 : La naissance du RAPPEL

Le vent dans les voiles grâce à cette rencontre significative, et pour mieux faire valoir leurs points face au gouvernement (c’est-à-dire, tenter de convaincre le ministère de l’Environnement de procéder à certains changements pour préserver les lacs et les cours d’eau), les associations décidèrent de se réunir en un organisme régional. C’est ainsi qu’en avril 1997, à la Maison de l’eau de Sherbrooke sur les bords de la rivière Magog, le RAPPEL naquit. D’autre part, il y avait, au même moment, le renouvellement des schémas d’aménagement des MRC. Celles-ci avaient juridiction sur la protection de l’environnement des lacs, conjoncture incitant les associations à se regrouper sous une même entité et à unir leurs efforts pour assurer une distribution plus adéquate des ressources (subventions disponibles) dans le but de promouvoir l’eau, tout en garantissant des mesures protectionnistes pour les plans d’eau. Par conséquent, le RAPPEL s’assurait d’avantager les associations des petits lacs sans nuire à celles des plus grands. Ce regroupement des associations atteignit à ce moment une masse critique pour produire des études, des rapports, des affiches et des guides pratiques.

« Je ne sais pas quel a été l’élément déclencheur, mais on s’est dit que tous les lacs autour en Estrie si on se regroupait on aurait encore la possibilité de faire des projets de plus grande ampleur, on aurait plus de compétence, on aurait la possibilité de demander des subventions, de réaliser des choses concrètes, que ce soient des posters, ou des programmes des projets comme celui du suivi de la qualité des lacs par exemple. On s’est réuni comme ça, il y a 25 ans un printemps. Je me rappelle, c’était à la Maison de l’eau, on était environ une quarantaine autour de la table, et on a discuté de cette possibilité. Tout le monde s’est mis d’accord pour créer le RAPPEL. » – Martin Lemmens

Officiellement, les lettres patentes furent signées le 16 octobre 1997. Celles-ci précisent les objectifs poursuivis par l’organisme, déterminent le lieu de son siège social et identifient les personnes qui sont à l’origine de l’organisme. Les requérants et administrateurs auxquels furent accordées les lettres étaient Jean-Claude Thibault, René Pelletier, Jean-Guy Dépôt, Martin Lemmens, Camille St-Onge et Gilles Dufresne.

Chapitre 3 : Une première année en force

La vision initiale du RAPPEL, davantage politique, s’articulait autour de la conservation de la ressource naturelle qu’est l’eau au Québec, dans un contexte où la privatisation de celle-ci était d’actualité. Claude Boucher disait à ce propos que « l’eau, c’est notre or bleu. Un jour, on nous convoitera pour notre eau et c’est notre rôle de tout mettre en œuvre aujourd’hui pour la préserver ». De fait, les premières actions ou priorités du RAPPEL furent, entre autres, d’inciter le gouvernement à légiférer la vitesse des embarcations motorisées et les motomarines à 10 km/h, par la circulation d’une pétition, afin d’assurer la sécurité publique et la protection des rives face à l’érosion; de s’intéresser à l’industrie porcine dans l’optique de réduire l’impact des lisiers sur l’environnement et de protéger les rives et le littoral des additifs chimiques en interdisant l’épandage.

Dès sa première année d’activité, le RAPPEL passa par une période de recrutement intense d’associations allant chercher tous les bassins versants de l’Estrie et du Haut-Bassin de la Saint-François jusqu’à la frontière américaine. Chacune des 32 associations de la protection des lacs et rivières ayant adhéré au RAPPEL dès sa première année acceptait de payer une somme à la hauteur du nombre de membres de l’association. Le montant fixé était à environ 1 $ par membre. Déjà, les premières assemblées générales comptaient une centaine de personnes. Celles-ci étaient dédiées, entre autres, au bilan de l’année qui venait de s’écouler et à la définition des projets prioritaires pour les différentes associations.

« On était pertinent sur le plan politique et sur le plan scientifique. On n’avait pas les moyens que vous avez aujourd’hui, mais sur chaque dossier on allait chercher les revues de littérature scientifique ou des scientifiques. » – Jean-Claude Thibault

À cette époque, le RAPPEL s’apercevait que partout, le phénomène d’eutrophisation des lacs prenait de l’ampleur.

 

Les 32 associations membres à la fin de 1997
Association des propriétaires du lac à la Truite (Amiante) Association des riverains du lac à la Truite (Orford) Association des riverains du lac Aylmer
Associations des propriétaires riverains du lac Bowker Association pour la protection du lac Brompton Association du lac Caribou
Association des propriétaires du lac Caron Association des propriétaires de la chaîne des lacs Association des résidents pour la protection de l’environnement du lac d’Argent
Association des propriétaires du lac Des Français Association pour la protection de l’environnement du lac du Huit Association pour la protection du lac Elgin
Association des riverains du lac Fraser Association des propriétaires du lac Libby Société de préservation du lac Lovering
Association des propriétaires du lac Lyster Association pour la préservation du lac Magog Association du lac Massawippi
Association pour la protection du lac Mégantic Corporation des résidents du lac Miroir Association pour la protection du lac Montjoie
Association pour la protection de l’environnement du lac O’Malley
Orford Lake Citizens Commitee Association du lac Parker
Regroupement écologie du petit lac Brompton Association des propriétaires du Petit lac St-François Association des propriétaires du lac Silver
Association des propriétaires riverains du lac St-François Association du Grand Lac St-François Corporation de la protection et de Survie du Lac St-Geaorges de Winds
Association de l’étang Sugar Loaf Association des riverains du lac Tomcod

 

« Certaines personnes vivaient ça comme un drame. Elles s’étaient acheté une propriété autour d’un lac, et là elles se rendaient compte, alors que la retraite approchait, qu’il y avait eu des coupes forestières et d’autres événements (activités humaines) qui faisaient qu’il y avait une quantité incroyable de sédiments qui s’était retrouvée dans le lac. Alors qu’avant il y avait une belle plage de sable devant chez eux quand ils avaient acheté la propriété, là, ils se retrouvaient avec un ou deux pouces de sédiments avec une quantité importante de plantes aquatiques ou d’algues. Et pour les gens c’était un drame, parce que c’était leur rêve de retraite qui fout le camp. » – Martin Lemmens

Réalisations lors de l’an un

Durant la première année d’activité, le RAPPEL interpella publiquement les gouvernements fédéral et provincial afin qu’ils améliorent rapidement la réglementation sur la conduite des embarcations dans le but de rendre leur usage plus sécuritaire et écologique. Initiée par Jean-Guy Dépôt du lac Bowker et membre du CA du RAPPEL, une pétition régionale fut lancée en mai 1997 auprès des membres de l’époque et de la population. Elle avait pour but d’inciter les législateurs à réagir rapidement devant l’état de crise appréhendée sur les plans d’eau, et ce, afin d’obtenir une limite de vitesse de 10 km/h sur les lacs.

Le RAPPEL produisit également un portrait général de l’état de santé des plans d’eau de la région, appelé Programme de suivi de la qualité des plans d’eau de l’Estrie et du Haut-Bassin de la St-François à l’été 1997. Le constat fut frappant :

« Cette étude sommaire a provoqué un choc chez nos membres par la tendance marquée de la majorité de nos plans d’eau à un taux beaucoup trop élevé de phosphore. » – Martin Lemmens

Les résultats concernaient 22 lacs et une dizaine de rivières. Plusieurs associations ne purent malheureusement pas réaliser ce suivi faute de moyens financiers.

« C’est la première fois, au Québec, explique Martin Lemmens, que les divers intervenants d’une région s’organisent pour obtenir des résultats avec les mêmes critères de recherche [teneur en phosphore, transparence de l’eau et rythme de reproduction des planctons]. »

Les résultats servirent à donner du poids, au besoin, aux demandes d’aide auprès des autorités.

« Les trois-quarts des lacs de la région de l’Estrie et du Haut-Bassin de la Saint-François recèlent des concentrations trop élevées de phosphore, un produit qui favorise la croissance des plantes et algues, ce qui tend en outre à réduire la quantité d’oxygène dans l’eau. » – Tiré du rapport – La qualité des plans d’eau de l’Estrie et du Haut-Bassin de la St-François à l’été 1997

Sous la responsabilité du chargé de projet René Pelletier et de la conseillère Camille Rivard-Sirois, le RAPPEL publia son premier document d’information populaire, en juillet 1997, sous le nom de Guide du riverain : La vie au bord de l’eau. Tiré à plus de 25 000 exemplaires, ce dernier explique les principales techniques d’aménagement riverain aptes à sauvegarder l’environnement des lacs et cours d’eau de la région. Offert gratuitement, il était présenté sous la forme d’une affiche démontrant de façon spectaculaire qu’un bon aménagement peut conserver facilement le cachet naturel de la rive.

« Les gens qui détruisent l’écosystème aquatique le font presque toujours par ignorance. Ils ne savent pas comment aménager adéquatement leur terre riveraine. Alors ils répètent leurs habitudes citadines et finissent par complètement modifier l’environnement de l’endroit. Au bout du compte, ils se retrouvent avec un chalet… en ville! Leur lac meurt peu à peu, puisque la vie s’y détériore », explique Jean-Claude Thibault lors de la publication de l’affiche

René Pelletier était enseignant en philosophie au Cégep de Sherbrooke où il avait adopté une formule pédagogique alternative. C’est pendant ces années d’activités professionnelles qu’il a rencontré Jean-Claude Thibault; tous les deux ayant des sujets qui les rassemblaient : l’éducation, l’environnement et leurs enfants. La belle-famille de René avait un pied à terre au grand lac Brompton et c’est pourquoi il a rejoint, dans les années 1990, le conseil d’administration pour la protection de ce plan d’eau, où il faisait de la voile. Il participait avec Louise Chrétien (qui est toujours la vice-présidente de l’Association pour la protection du lac Brompton) à la bonne rédaction et révision des outils communicationnels. La protection de l’environnement, le loisir de se déplacer sur l’eau et la contemplation de la nature lui ont permis de se rapprocher du RAPPEL. Il fut le premier vice-président.
René Pelletier, membre fondateur du RAPPEL

Au début de l’automne, le RAPPEL frappa fort avec sa méthode révolutionnaire d’entretien plus écologique et plus économique des fossés. Elle fut mise en exécution en Estrie grâce à un partenariat dynamique entre le RAPPEL et la direction régionale des Transports-section Estrie. Baptisée « tiers inférieur », la méthode consiste, encore aujourd’hui, à réduire le creusage des fossés au strict minimum et à utiliser la nature comme alliée. Il s’agissait du premier geste d’éclat du RAPPEL.

La fiche ci-dessous est le résultat de la réussite à convaincre le ministère des Transports (MTQ) à changer complètement sa méthode. Jean-Claude en parla en 1996 lors d’une conférence au lac Brompton, dénonçant l’apport direct de sédiments dans la rivière aux Saumons et écorchant les pratiques du ministère. Coup du destin, dans la salle de la conférence, un représentant du MTQ (ancien étudiant de Jean-Claude, par pur hasard) écoutait et vint lui proposer de rencontrer le directeur du ministère ainsi que 16 ingénieurs pour leur partager sa vision des choses. Jean-Claude se sentit alors « très petit dans ses culottes », comme il l’explique dans ses propres mots en entrevue avec le RAPPEL. Après cette rencontre fructueuse de plus d’une heure, les démarches furent mises en branle pour la publication d’une fiche en septembre 1997. Elle fut imprimée en 1000 copies et fit le tour du Québec!

Au cours de la même année, le RAPPEL lança le projet REFORMEau-ACTION, qui visait à former, éduquer et sensibiliser la population dans le but de créer un groupe d’action autour de la protection de l’eau. Il entreprit aussi une démarche d’entretien des emprises routières et s’impliqua politiquement dans la gestion et la privatisation de l’eau.

Chapitre 4 : Une seconde année qui fait des vagues

Après une première année chargée et productive, le RAPPEL, cet organisme naissant plein d’énergie et de projets, eut la volonté d’assurer une permanence. Pour l’occasion, la présidente du lac Miroir à Bishopton, Diane Pratte, reçut l’honneur d’être engagée comme directrice générale, en succession à Martin Lemmens. Elle joua un rôle majeur dans la recherche et l’obtention de subventions. Ces subventions permirent d’engager deux coordonnateurs de projets, en plus de trois chercheurs universitaires sur des sujets plus techniques afin de répondre aux principaux objectifs de 1998 : protéger la qualité de l’eau et l’environnement des plans d’eau de la région, et assurer une plus grande quiétude et une plus grande sécurité sur les plans d’eau.

Diane Pratte est originaire d’East-Angus. Elle s’intéressa à la protection des plans d’eau dès sa plus tendre enfance, car elle passa tous ses étés au lac Miroir, à Dudswell. Ainsi, elle put constater, au fil des années, la dégradation du lac, principalement par l’envasement du plan d’eau d’au moins un demi-pied. Ayant une vision planétaire pour la protection de l’environnement et ayant été alarmée par cette dégradation anormale, elle est à l’origine de la formation de la Corporation des résidents du lac Miroir en 1984. Elle en a d’ailleurs été la présidente pendant neuf ans sur les vingt-sept années durant lesquelles elle a siégé au conseil d’administration de la Corporation.
Son expérience comme vérificatrice et comptable dans une firme de comptables agréés, puis comme gestionnaire dans des entreprises, lui a grandement servi au RAPPEL durant ses 12 ans comme directrice générale ou comptable. Soulignons son apport indéniable, elle qui a travaillé plus de 10 000 heures bénévolement, durant les premières années où le budget de l’organisation ne pouvait couvrir son salaire, et par la suite pour les heures investies en dehors de sa semaine normale de travail.
Diane Pratte, ancienne directrice générale du RAPPEL

L’année 1998 marqua donc la consolidation des acquis de la première année. Les associations membres bondirent à 42, représentant plus de 5000 membres actifs et 15 000 propriétaires riverains répartis dans les 119 municipalités et les huit MRC de l’Estrie et du Haut-Bassin de la St-François.

En raison du travail exceptionnel des employées et des employés ainsi que des bénévoles, le RAPPEL remporta deux prix d’excellence : l’un au niveau provincial, l’autre de niveau régional. Le premier fut celui du Prix PHÉNIX de l’environnement (édition 1998) en matière d’éducation et de sensibilisation à la protection de l’environnement du Gouvernement du Québec – ministère de l’Environnement et de la Faune –; le second fut le Prix d’excellence en environnement des organismes communautaires et des institutions, accordé par la Fondation estrienne en environnement.

Réalisations lors de l’an deux

Manifestant de la vigueur et ce besoin d’identifier plus précisément l’état de santé de l’environnement aquatique, le RAPPEL approfondi sa connaissance des lacs et des rivières de la région. Il poursuivit le suivi de la qualité des eaux en offrant notamment, une journée de formation aux bénévoles. Initiée par Martin Lemmens et Jean-Claude Thibault, une évaluation du degré d’artificialisation des rives à partir de vidéos prises en avion ou en hélicoptère fut aussi menée par deux chercheurs, Sonia Laforest et Félix-Xavier Lemieux.

Puis, au début de l’été 1998, Environnement-Canada découvrit 4 042 nids de goélands au site Kruger à Bromptonville. Un comité régional fut rapidement mis sur pied et un représentant du RAPPEL, Norbert Fauteux, du lac Magog, encouragea des initiatives locales permettant d’identifier plus précisément la présence de ces nouveaux arrivants dans la région.

 

En matière de sensibilisation, d’éducation populaire et d’actions dans le milieu, un programme de régénération des rives fut accueilli avec succès. Il a permis à plus de 22 associations de planter 65 000 arbustes et herbacées typiques sur les bords de lacs et cours d’eau en Estrie lors de l’été. Il en fut de même pour la technique du tiers inférieur liée à l’entretien écologique des fossés, puisque le ministre des Transports du Québec de l’époque, Jacques Brassard, souscrivit à la demande du RAPPEL de réimprimer leur fiche technique. Ce ne sont pas moins de 5000 nouvelles copies qui furent distribuées à travers toutes les régions du Québec! À la vue du succès du premier guide du riverain, le RAPPEL ne se ménagea pas et en produisit un second : La vie sur l’eau. L’outil sortit juste avant les audiences publiques du comité Boucher concernant la sécurité nautique et la qualité de vie sur les lacs et cours d’eau du Québec.

Imprimée en 25 000 copies, la qualité de l’information et le graphisme impeccable de cette affiche pour l’époque de publication, furent entre autres le résultat du travail exceptionnel de René Pelletier. 

Un nouveau volet au sein du Regroupement vit également le jour au mois d’octobre : la protection et la valorisation des milieux humides fauniques. La Fondation québécoise de la Faune octroya une importante subvention au RAPPEL, qui permit à Jocelyne Bastien, ancienne directrice au conseil d’administration du regroupement et présidente du marais de Kingsbury à l’époque, de travailler à temps plein sur ce vaste dossier. Le projet s’intitulait Rappelle-toi la faune. Il consistait à mettre sur pied un service d’aide professionnelle aux associations de protection de l’environnement des lacs et des cours d’eau de l’Estrie, afin de mettre en valeur les milieux humides et les marécages; de protéger et de valoriser les habitats et les écosystèmes des lacs et cours d’eau; d’acquérir des sites à valeur faunique exceptionnelle; de sensibiliser les associations et les intervenants en apportant un soutien technique; et de stimuler le développement du potentiel écotouristique de l’Estrie et du Haut-St-François. Trois catégories de services furent alors créées : un centre d’information et de documentation, un département de service-conseil et un réseau entre les associations.

À cette époque, le regroupement se battait notamment pour obtenir des outils législatifs adaptés pour protéger l’environnement. Deux enjeux préoccupaient alors l’organisme. D’une part, la gestion plus sécuritaire et plus écologique des activités nautiques faisait l’objet d’une demande de la part des membres. Ce fut la création du comité Boucher sur la sécurité nautique et la qualité de vie sur les lacs et cours d’eau du Québec qui conclut le travail assidu porté sur cet important dossier, présenté au ministre Rémy Trudel, responsable au Québec de l’application de la loi fédérale sur l’usage des embarcations motorisées. Le second enjeu préoccupant le RAPPEL portait sur les schémas d’aménagement des diverses MRC. Ces schémas firent l’objet de nombreuses recommandations provenant des associations dans le but d’établir des mesures plus protectionnistes.

Chapitre 5 : Des réalisations dont les impacts traversent les années

Sur une période de 25 ans, les deux premières années furent plutôt mouvementées en raison du besoin d’affirmation du Regroupement. L’enthousiasme et l’énergie autour de la table de discussions furent une des raisons qui permirent de développer l’organisme et de réussir des coups d’éclats qui font encore écho aujourd’hui.

Parmi les nombreux projets porteurs du RAPPEL, mentionnons la conception de 16 fiches techniques portant sur différents concepts touchant le milieu aquatique. Ces fiches ont été réalisées par Mélanie Desautels et Camille Rivard Sirois, alors employées du RAPPEL. Les sujets présentés étaient entre autres : le bassin versant, l’eutrophisation de nos plans d’eau, le phosphore, la chlorophylle a, les matières en suspension (MES), la transparence de l’eau, les sédiments, les algues et les plantes aquatiques ainsi que les comportements (riverains, forestiers, agriculteurs, gestionnaires), pour ne nommer que ceux-là. Ces fiches, révisées dans les dernières années et maintenant transposées en pages Web sur le site du RAPPEL, sont encore énormément consultées par une panoplie d’internautes. La demande est si grande, que le RAPPEL prévoit offrir les fiches en format PDF téléchargeables et imprimables à l’intention des associations et leurs riverains en 2022.

L’an 2000 fut le théâtre d’un autre projet d’envergure, celui de la vente de 100 000 d’arbustes à un coût moyen de 25 sous. Sous la responsabilité de la coordonnatrice Diane Pratte, le RAPPEL a conçu et remis à chaque association des brochures « 100,000 arbustes pour l’an 2000, 100,000 coups de pouce pour la nature » (tirées à 20,000 exemplaires), un diaporama et un cartable décrivant chaque arbuste. Dans le cadre de cette même initiative de reboisement, l’organisation a donné de la formation théorique et pratique, huit conférences de presse et a bénéficié d’un partenariat privilégié avec six succursales Canadian Tire. Ce partenaire fournissait un endroit stratégique pour la distribution des arbustes aux résidents et résidentes des 47 associations du RAPPEL. L’objectif de ce brillant projet fut même dépassé, puisque la distribution représenta plus de 102,500 arbustes.

En 2004, le RAPPEL fut mis en nomination aux prestigieux Prix canadiens de l’environnement dans la catégorie Éducation à l’environnement. Il s’est retrouvé dans le peloton de tête des trois finalistes de ce grand prix. Cet exploit démontrait que les documents de vulgarisation technique, portant sur des solutions simples et peu coûteuses aux problèmes d’érosion des sols et des rives, ont fait du RAPPEL une référence non seulement en Estrie, mais partout à travers le Québec et dans l’ensemble du Canada! C’est par son dossier « Lutte à l’érosion », sous la responsabilité du chargé de projet Jean-Claude Thibault et de la coordonnatrice Andrée-Nathalie Aloir, que l’OBNL s’est distinguée auprès des membres du panel de ce prix. Des thèmes comme « L’eau trouble, ce n’est pas normal » et « Les sédiments, c’est le cholestérol de nos lacs, de nos cours d’eau et de notre fleuve » ont inspiré les différentes campagnes de sensibilisation et les documents éducatifs si bien illustrés que le RAPPEL a produits. Le guide « Lutte à l’érosion sur les sites de construction ou de Sol mis à nu » est encore disponible aujourd’hui.

Un peu plus tard, sous la responsabilité du chargé de projet André Godin et de la coordonnatrice Mélanie Desautels, le RAPPEL a développé un outil de travail très important avec lequel les associations ont pu travailler durant des années : le « Diagnostic environnemental global du bassin versant du lac » aussi connu comme le programme « Schéma d’Action Global pour l’Eau (SAGE) ». Ce programme permettait aux associations d’être outillées pour bien comprendre les causes de dégradation pouvant affecter la qualité de l’eau et pour élaborer un plan d’action visant à solutionner ces problèmes. Pour mettre en œuvre ce schéma d’action, il fallait d’abord faire une étude détaillée du bassin versant du lac à diagnostiquer.

L’équipe «SAGE» 2004

Parallèlement, à la demande de certaines associations, le RAPPEL, a procédé à la caractérisation des deltas de sédiments à l’embouchure de certains tributaires. Ce travail fut accompli par le chef de projet Jean-François Martel, accompagné de techniciens en écologie et techniciens de la faune. Pour chaque association, il leur fut ainsi possible de constater l’évolution des apports en sédiments entraînés à leur lac via ces tributaires et l’importance des problématiques sous-jacentes.

Avec l’équipe du RAPPEL depuis 2009, Jean-François a supervisé différents projets qui concernent entre autres la caractérisation des milieux aquatiques, la restauration des rives, l’élaboration de diagnostics de bassins versants et de plans directeurs de lacs, et œuvre également à la conception de plans de contrôle de l’érosion et de gestion des eaux de ruissellement. Jean-François met à contribution ses compétences pour concevoir et recréer des milieux humides et hydriques hautement fonctionnels qui jouent un rôle écologique crucial de « stations d’épuration naturelles ». Il agit maintenant à titre de directeur général du RAPPEL.
Jean-François Martel, directeur général de la coopérative

Il est connu que les plantes aquatiques sont essentielles à l’écosystème aquatique lacustre, mais en présence d’apports excessifs de sédiments et de nutriments, elles se multiplient de façon anormale. Ainsi, il est capital pour les associations de connaitre la situation des plantes aquatiques dans leur plan d’eau pour suivre l’évolution et noter toute situation problématique. Pour ce faire, il faut mesurer le recouvrement (soit le taux de la densité des herbiers) et la diversité des espèces. Ainsi, ce service fut d’abord exécuté par la coordonnatrice Camille Rivard Sirois dans les premières années.  Par la suite, le RAPPEL réalisa des inventaires de plantes aquatiques dans de nombreux lacs et rivières du sud du Québec. Les résultats de ces inventaires furent comparés à travers les années pour évaluer l’évolution de l’écosystème aquatique ainsi que l’ampleur de certaines problématiques comme l’envahissement par le myriophylle à épis.

Tous ces projets furent grandement significatifs pour les associations. Le RAPPEL soutenait leur travail en leur fournissant de la documentation scientifique et des services propres à leur réalité. À titre d’exemple, en 1999, le RAPPEL coordonna la rédaction de différents mémoires d’associations portant sur la qualité de l’eau afin que ceux-ci soient transmis aux audiences sur la gestion de l’eau au Québec du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

Journée des associations en 2002
Journée des associations en 2010

Durant cette période, le RAPPEL éduquait non seulement les associations et leurs riverains en produisant plusieurs outils de sensibilisation, mais il les invitait également à assister à des conférences données par des experts en environnement de l’eau, à des colloques et à des cliniques de formation théorique et pratique afin de les outiller dans leurs actions au quotidien.

Journée des associations en 2004

La pertinence du RAPPEL fut indéniable. Les années qui suivirent, jusqu’au changement vers la coopérative, accueillirent de nombreuses réussites, mais aussi plusieurs écueils…

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Merci à toutes ces personnes qui nous ont gracieusement offert leur témoignage et leurs archives pour l’écriture de cet article. Et un merci tout particulier à Nicolas Gendron pour son travail exceptionnel de recherche et de rédaction.